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Dans un bastion de la Surveillance

14791 E.G.

 

Que la procession majestueuse des planètes autour de la cohorte de soleils de la Galaxie nous paraît ordonnée ! Chaque étoile a maîtrisé un tour de jonglerie différent, mais tout est soumis à une régularité cyclique impressionnante, comme si l’Empereur de l’Univers avait autrefois ordonné aux danseurs présents au bal donné pour son couronnement de faire des pirouettes en son honneur jusqu’à la fin des temps.

Mais cet ordre est une illusion de prestidigitateur chevronné. Parce que nos vaisseaux commerciaux évitent les pouponnières galactiques, quels passagers peuvent se targuer d’avoir vu un jeune soleil s’exercer avec ses balles ? Qui a retenu son souffle au moment où une étoile maladroite a lâché une de ses planètes ? Nous ne fréquentons que les plus grands music-halls. Nous demandons à un commissaire de bord obséquieux un billet d’entrée à un spectacle extraordinaire puis nous attendons d’atteindre un lointain virtuose qui a répété son numéro solaire pendant des milliards d’années. Les traces de ses échecs ont depuis longtemps disparu.

Avez-vous remarqué que les balles manipulées par ces jongleurs galactiques expérimentés conservent les stigmates de leurs collisions avec des balles plus petites, perdues dès les premières répétitions ? Captivés par la dextérité de ces saltimbanques, auriez-vous omis de voir les cohortes de réfugiés solitaires qui errent dans l’espace interstellaire parce qu’une étoile débutante sans talent les a expédiés trop loin pour qu’il soit possible de les récupérer ?

Rien ne reste très longtemps sur une orbite instable sans se faire absorber ou expulser. Des éternités s’écoulent. Et voyez ! Quand l’homme arrive en retard avec ses beaux atours, il trouve les derniers résidus grandioses des orbites stables et s’extasie du sens de l’organisation de l’Empereur de l’Univers… dont la face cachée est celle du Seigneur du Chaos !

 

Extrait de La danse des Mille Soleils, strophe 498

 

 

Pendant les deux cent sept années qui séparèrent 7774 de 7981 E.G., la sanglante Guerre des Marches opposa les Mille Soleils longtemps indépendants et leurs alliés au Sublime Empire qui empiétait sur leur secteur. Au cours de cet interminable conflit, un groupe d’officiers supérieurs helmariens construisit des refuges secrets sur des planètes minuscules et introuvables car perdues dans les ténèbres. Les Mille Soleils d’au-delà de la trouée d’Helmar finirent par être vaincus et les Helmariens par être décimés, contraints de régénéformer leurs enfants afin qu’ils soient conformes aux normes galactiques. Ils furent également dispersés et dilués parmi les immigrants loyaux à l’Empire qui s’installèrent sur leurs milliers de mondes. Mais leurs bases secrètes ne furent jamais trouvées et nul ne suspecta seulement leur existence. Ces bastions non conquis perdirent leur nom de bases pour devenir…

L’acoustique de la salle était merveilleuse. Pendant que son grand-père était congelé avant d’être expédié dans les catacombes – et que ses fluides tombaient goutte après goutte dans la bonbonne tenue par les figurines de cristal du condensateur rituel –, Nemia chanta le solo de son requiem avec dévotion et passion. Elle puisait certains mots dans ses souvenirs et apportait de l’inspiration aux autres chanteurs, afin qu’ils complètent son hommage par un contrepoint. Pendant les pauses entre les chants, ils déglutissaient une petite gorgée de son eau pure. L’élégie n’aurait pu prendre fin avant que les dernières gouttes du distillat de sa sublimation tombées dans le réceptacle n’aient été récoltées dans les calices pour être diluées dans le sang de ceux qui portaient son deuil.

Plus tard, seule et à titre privé, elle alla rendre un dernier hommage au corps désormais desséché, une légère caresse qui ne pourrait nuire à sa fragilité poreuse, une larme et le présent d’une rose dorée prélevée dans le vase en bronze de son atrium-parloir. Elle avait personnellement sculpté le couvercle de son sarcophage, un pentagone de pétunias aux couleurs vives façonné dans diverses essences de bois. Elle le rabattit sur le corps, en prenant pour la première fois conscience de sa propre mortalité.

Elle se contenta pour un temps d’errer dans le Bastion.

Aller se remettre au travail eût été trop éprouvant et Nemia se tourna vers les labos qui longeaient Feufroid, pour finir par battre en retraite vers l’est et ses appartements. Arrivée là, elle ne sut plus quoi faire. En proie à la mélancolie, elle s’attarda près du vase de l’atrium sans voir les roses, seulement les images de son grand-père qui l’avait choisie pour mener une vie d’acolyte. La pièce était immaculée, à l’exception de ses outils de sculpteur sur bois et des copeaux qu’une gravité trop faible n’avait pas encore attirés jusqu’au sol. Elle prit sur la table centrale un des Œufs du Coron de grand-père et joua avec, sans déclencher sa féerie stellaire. Il avait constamment cherché des versions plus anciennes, en étant dépité de ne jamais trouver une édition originale. Grand-père avait été un homme étrange que le passé fascinait autant que l’avenir.

Un bruit qu’elle remarquait pour la première fois lui parvenait à travers le sol et le plafond, de toutes les parois de son appartement, bien que les portes soient closes et son partageur fermé. Alors qu’elle avait grand besoin de silence… et d’isolement. Elle ordonna au placard du vestibule de lui fournir un masque à oxygène et une lampe frontale puis, après avoir dû insister, sa boîte à outils. Elle ressortit dans le couloir et se dirigea vers la magnépiste la plus proche. Sans se donner la peine de commander un magnétocar privé, elle prit un petit robotaxi décapoté auquel elle ordonna de la conduire par les voies les moins fréquentées vers la barrière nord. À la vitesse maximale. Il n’accéléra que lorsqu’elle fut confortablement immobilisée sur son siège.

L’air jouait avec ses cheveux comme la vie jouait avec les changements. Après un vol étourdissant – défilements d’images de chaussées et de voûtes, de fenêtres et de vitrines, de ruelles ramifiées – le véhicule inversa sa poussée pour s’immobiliser sans heurts. Tout s’arrêtait, quand on dressait un état des lieux avant de donner une nouvelle orientation à son existence. Elle se figea avant de rouvrir les crampons de sécurité… retenue plus par la contemplation que par ces liens matériels. Pour la première fois de sa vie elle ressentait le besoin de concentrer son esprit sur des choses plus vieilles que ne l’avait été grand-père.

Elle s’écarta du magnétocar d’une glissade qui la propulsa dans un couloir désert, jusqu’au palier d’un sas périphérique. Un accès surveillé mais seulement à distance. Les grottes qui s’ouvraient au-delà n’étaient pas interdites, simplement non fréquentées. Elle fit sauter le sceau et mit sa force à contribution pour ouvrir la barrière. Le sas se referma derrière elle. Thunk ! Elle s’assura avec soin que le système l’avait soumise à une inspection automatique, car dans le cas contraire des alarmes se déclencheraient et des équipes d’intervention arriveraient à grand renfort de sirènes dans quelques inamins.

Elle se retrouvait là, dérivant dans les secteurs du Bastion abandonnés aux ténèbres et au silence. Elle n’avait que le faisceau de sa lampe pour la guider. Les excavations les plus anciennes, auxquelles nul ne s’était intéressé depuis longtemps, l’intriguaient plus que les autres. Elle atteignit de nouveaux sceaux et verrous, quelques sas hermétiques. S’il arrivait que des fermetures à pression se grippent, elle s’était munie de sa boîte à outils et rien n’aurait pu arrêter une personne expérimentée ayant à sa disposition des outils de précision et d’autres plus expéditifs. Le gaz protecteur était de l’hélium, offert par l’atmosphère d’une planète mère de taille moyenne qui les emportait loin de tout soleil, au milieu d’un océan d’hydrogène uniquement illuminé par les étoiles.

Sa lampe insufflait de la vie à des créatures d’ombre qui fuyaient devant elle, d’un tunnel au suivant, et dans des salles bondées de matériel démodé… des antiquités qui dataient apparemment de la fin du premier Empire. Les constructeurs helmariens avaient été infames et ce qu’ils avaient réalisé en n’utilisant que leur bioware primitif était sidérant ! Ces travaux avaient dû réclamer des efforts surhumains mais sept millénaires consacrés à forer la roche avaient à peine entamé un mini-monde assez gros pour dissimuler le dégagement d’énergie de sa petite colonie sans avoir pour autant une pesanteur digne de ce nom. Dans le seul but de se distraire, elle utilisa son fam pour calculer que s’ils avaient creusé des catacombes dans la totalité de sa masse rocheuse les Helmariens auraient pu y loger les cent trillions de sujets du second Empire. Au temps pour la superbe des hommes !

Elle pénétra de plus en plus profondément dans les galeries et les puits abandonnés pour finir par lever les yeux, telle une souris, vers les hauteurs du centre de commandement originel. Des installations qui dataient du premier Empire. Comment ses ancêtres avaient-ils pu se soustraire à toute détection avec ces générateurs d’ultraondes démesurés dont le rendement laissait tant à désirer ? L’hélium avait assuré la conservation du mobilier et du reste : des fauteuils de brocart et même des cartes stratégiques bonnes pour être mises au dispozoir depuis des millénaires.

Elle s’agenouilla sous la machine principale et adressa une prière aux Anciens, les doyens d’une culture que nul Empire n’avait pu mater. Un cri primal que tout Helmarien connaissait par cœur.

« Mourir une fois c’est mourir à jamais ! »

Exprimé avec les bras levés et les coudes ramenés contre les flancs, les paumes orientées vers l’avant. Puis elle s’inclina en geste de respect envers son grand-père bien-aimé, tout en le revoyant avec nostalgie marcher à quatre pattes avec elle sur son dos sur un dallage de pierres, là-bas à Neuhadra, avant qu’elle ne fasse ses premiers pas, qu’elle n’apprenne à marcher et à construire son premier fam. Il savait s’y prendre, avec les enfants ! Il l’avait enlevée à ses parents, tant son zèle smythosien était grand.

Elle resta tout l’après-midi dans ce sanctuaire, après avoir shunté des circuits électriques défaillants pour que l’ancien système d’éclairage illumine les lieux et lui permette de mettre en scène Hisgoold parmi ces énormes machines, un décor idéal pour cette tragédie. Son fam recréa les chanteurs hallucinatoires de cet opéra, leurs voix et leurs déplacements. La noble surhumanité de la famille Hisgoold était poignante, alors que les chœurs de l’armée helmarienne condamnée traversaient avec bravoure une scène bien plus sinistre et réelle que dans n’importe quel théâtre où cette œuvre avait été donnée.

Une représentation qui la fit pleurer. Ses mains applaudirent d’elles-mêmes le Hallel. Ses lèvres s’incurvèrent en un sourire lorsqu’elle écouta le Madrigal, pendant que Pani, Laura et compagnie marivaudaient en se poursuivant avec fausse modestie entre les projecteurs ultraondes. Elle rit telle une enfant de la féerie pyrotechnique du Prothalamion, ne pouvant s’empêcher de se remémorer les émotions de l’enfant de trois ans que grand-père avait emmenée voir ce spectacle. L’hymne de bataille des Mille Soleils l’enthousiasma comme toujours. L’aubade l’emplit d’espoir. Elle siffla le Sublime Empereur, lorsqu’il apparut pour son triomphe. Et ses yeux s’emplirent de larmes au cours de la lamentation finale, quand Kaggan vient pleurer sur les corps inertes de Pani et de Laura.

En proie au chagrin, un chagrin insoutenable, elle coupa l’éclairage pour pouvoir s’y abandonner dans le noir… comme elle ne l’avait encore jamais fait pendant sa brève existence. Elle dut activer le séchoir de sa visière pour la débarrasser de la buée. Son esprit épuisé ne sentait que l’humidité de ses joues.

Lorsqu’elle regagna son domicile, une capsule personnelle l’attendait dans l’atrium.

Le messager mécanique goûta ses doigts et lut son empreinte rétinienne puis – au lieu de transmettre un message crypté à son fam – il utilisa un petit haut-parleur noir pour s’adresser à elle avec la voix… de son grand-père. Le dispositif ne comportait que deux boutons aux fonctions d’une extrême simplicité : avant/arrêt et retour en arrière d’une phrase à la fois. Le discours avait été, par endroits, famsimulé comme si tout enregistrer avec ses cordes vocales aurait représenté pour lui un effort bien trop grand. La commande de destruction était également manuelle.

« Nemia, ah, Nemia ! Quand la mort s’impose à notre esprit nous ne pensons plus qu’à ce que nous laisserons inachevé. Me voici trépassé et tu es toujours célibataire. Je me suis penché sur la question avec ta mère et ton père. »

Elle rit. C’était un de ses thèmes de prédilection. La dernière fois, elle s’était emportée dans l’espoir de le réduire à jamais au silence. Puis elle s’était bouché les oreilles en entendant toute nouvelle référence à un mariage, mais il n’avait pas renoncé et il avait à présent le dernier mot.

« Je sais quels sont tes sentiments et c’est pourquoi j’ai pris des dispositions pour organiser cette soirée à ton insu, en m’abstenant de t’informer de mes initiatives. Je ne pourrai pas terminer ce que j’ai entrepris et tu devras régler seule les derniers détails. Ne te tracasse pas pour ce garçon. Je ne lui ai rien dit, à lui non plus. Seuls ses parents sont au courant. Sache qu’ils t’apprécient. Quant à lui, il aura une surprise.

— Tiens donc !

— Tu le connais. Tu es l’auteur du moniteur de rôle que nous lui avons installé pour sa dernière affectation. Je crois que tu avais un faible pour lui. Souviens-toi. Tu l’as rencontré au Gala de Réaffirmation que j’avais organisé à ton intention. Ses oreilles te fascinaient. Je ne pensais pas qu’on pouvait trouver tant de qualificatifs à des pavillons et des conques. Il m’est naturellement impossible d’affirmer que tu en es tombée amoureuse mais il est indéniable qu’il ne te laissait pas indifférente. J’ai regretté son départ en mission si rapide… ce qui a mis un terme à toutes mes ingérences. »

Grand-père avait donc joué un rôle dans cette aventure ? Elle ne s’en sentait pas mortifiée. Il y avait des années qu’elle avait cessé de penser à Hiranimus Scogil, mais elle ne l’avait pas oublié pour autant. Grand-père était-il au courant, pour la douche qu’ils avaient prise ensemble ? Et pour la lettre qu’elle lui avait adressée ? La maturité qu’elle avait acquise depuis la fit gémir. Ce pauvre Hiranimus avait dû être soulagé d’être envoyé si loin de là !

« Il essaie de faire approuver par la Surveillance un projet qu’il a mis au point. Si je l’ai soutenu, c’est principalement parce que je voulais qu’il t’épouse. J’aime adapter les besoins de la psychohistoire à mes intérêts personnels.

— Vieil intrigant ! »

Mais il ne pouvait l’entendre.

« Les hautes instances de la Surveillance ont donné à l’unanimité un avis défavorable. Les risques étaient trop élevés et les probabilités de réussite trop basses. Plus grave encore, la moralité d’une telle opération était douteuse. J’ai dû me plier à cette décision. Mais, très récemment, quelques veilles avant d’avoir mon attaque, Scogil s’est manifesté à Neuhadra et l’affaire a changé de tournure. J’ai pris quelques dispositions, ne serait-ce que pour penser à autre chose qu’à mon agonie. Il est toujours possible de jongler avec les probabilités, par des méthodes que le Fondateur n’aurait sans doute pas approuvées. C’est à toi de prendre la relève. Adresse-toi au Lion pour obtenir les détails. Notre Scogil… »

Elle enfonça la touche « arrêt ». Le Lion ? Grand-père et le Lion ne faisaient qu’un ! Elle l’avait compris des années plus tôt. Déconcertée, elle se leva et se prépara à dîner en réfléchissant à cette énigme. Les éléments du puzzle ne trouvèrent finalement leur place qu’après le quatrième plat, alors qu’elle retirait sa tarte mousseline du cuisineur. Elle fourra la pâtisserie moelleuse dans sa bouche, atterrée par sa stupidité. Évidemment que son grand-père était le Lion… mais le Lion n’était qu’un « paravent » quantique. Il pouvait (devait) personnifier plusieurs membres de la Surveillance. C’était une entité immortelle à laquelle divers simples mortels apportaient une perspective humaine. Immortel n’était d’ailleurs pas le mot juste. Le Lion n’était pas plus vieux que grand-père – ce qui l’avait induite en erreur. Grand-père avait probablement créé le Lion. Qui pourrait-elle…

Elle passa un appel. Déranger le Lion était impossible car il avait un sous-esprit capable de gérer simultanément un millier de choses, dont aucune au niveau du conscient. Cet équivalent d’un secrétaire de direction idéal apparut dans l’atrium, une simple hallucination engendrée par son fam. N’étant pas du genre à utiliser des artifices holographiques pour soigner son apparence, il se manifestait directement dans le cortex visuel.

« Nemia de l’Amontag. »

Il avait accompagné ces mots d’un mouvement gracieux de sa patte, pour indiquer qu’il avait attendu son appel.

Elle s’inclina respectueusement vers une silhouette qui n’évoquait que vaguement un grand félin. Les vrais fauves ne se tenaient pas debout. Elle essaya de reconnaître en lui grand-père, mais ce déguisement avait toujours été excellent. « Mon grand-père m’a suggéré de solliciter un rendez-vous, dit-elle à l’entité réceptionniste.

— Au sujet de l’affaire Scogil, en effet. »

L’éclat des yeux du Lion la convainquit qu’il devait tout savoir ! Pourquoi son grand-père n’avait-il jamais pu tenir sa langue ? Tous les Smythosiens qui se dissimulaient derrière ce masque savaient-ils qu’elle avait pris une douche avec Hiranimus Scogil ? Et comment un lion pouvait-il avoir une apparence si diaboliquement humaine avec sa tête fauve broussailleuse, son mufle noir et son sourire de prédateur ?

D’ailleurs, une telle hallucination était inconcevable. Le lion à quatre pattes était une des espèces thériennes éteintes. Nemia n’aurait pu dire si elle avait été balayée par le célèbre météore ou par l’utilisation intensive que les humains avaient faite des engrais ammoniaqués. Le protoxyde d’azote, ce composé nocif dû à la décomposition de l’ammoniac, engloutissait l’ozone en s’élevant jusqu’à la stratosphère. Naturellement, les lions n’avaient pas totalement disparu ; l’ingénétique avait permis d’en recréer à partir des chats domestiques. L’humour helmarien de grand-père. Me tuer ne peut suffire pour se débarrasser de moi. C’était ce que symbolisait cet emblème de la Surveillance. Qui l’animait, désormais ? Un homme ? Deux ? Une seizaine ?

« Des questions à poser ? s’enquit l’animal.

— Je n’ai pas terminé d’écouter la capsule, avoua-t-elle.

— Nous nous verrons ensuite. Venez en personne dans mon antre, à la onzième veille du jour suivant votre temps de sommeil. Votre billet pour Neuhadra est déjà pris. »

Le Lion disparut, mais il laissa derrière lui une très brève image de l’ancienne savane pré-désertique de Ther et des odeurs d’antilopes se décomposant sous le soleil.

Nemia s’assit pour reprendre le petit haut-parleur noir, revenir au début de la dernière phrase puis enfoncer « écoute ».

« Notre Scogil a rapidement défriché le terrain, ajouta la voix de son grand-père. Il pense avoir tout organisé avec un certain Beucalin de Neuhadra – un homme que tu ne connais pas – pour qu’il apprenne à un boucher de Sublime Sagesse comment modifier le fam de son élève… un jeune garçon avec lequel il voyage. Beucalin nous a joints et son rapport est surprenant. Les tests confirment que le protégé de Scogil a effectivement des dons remarquables pour les mathématiques.

« Et son fam est encore plus étonnant : un prototype inachevé de Caltronic, une société de Lointaine. Pas un modèle assemblé par des sous-traitants de Sigel ou Rash Hanna. Nous ne connaîtrions pas ses caractéristiques si garder les spécifications des fams de nos concurrents n’était pas une marotte helmarienne. Moins de soixante-dix ont été fabriqués… un projet ambitieux auquel ils ont dû renoncer avant de lancer la production en série. Il y a un siècle. Son père a dû tomber sur un fam oublié sur une étagère, s’il n’avait pas été mis volontairement de côté. L’éthique aurait voulu que les techs le jettent au dispozoir, mais ils devaient avoir besoin d’argent… sans compter qu’il fonctionne parfaitement et est bien supérieur à la moyenne, même s’ils ne pouvaient vendre un appareil non homologué qu’à un plouc vivant dans un trou tel qu’Agandre. Ces machins avaient deux cent soixante-deux mille points d’échanges, mais les concepteurs n’ont pas trouvé un matériau assez stable pour les utiliser. Ils ont tout repris de zéro, sur des bases différentes. Ce qui a donné le célèbre Caltronic 4Z, désormais dépassé lui aussi. »

Ah ! pensa Nemia. C’était exactement le genre de problème « spécial » qu’elle avait été formée à exploiter. Deux cent soixante-deux mille ports inutilisés ! Peut-être inutilisables. Un défi plein d’intérêt.

« Nous avons dit à Beucalin de refuser la demande inconvenante de Scogil, mais, par amitié pour Mendor Glatim, il trouvera quelqu’un disposé à effectuer discrètement ce travail. » Il gloussa. « Et loin des yeux de la Surveillance. »

Son grand-père adorait se moquer des jeunes gens qui se croyaient plus malins que les autres.

« Tu seras ce remplaçant. Peut-être pourrons-nous te faire intervenir sans impliquer Beucalin. Tu as un excellent prétexte pour ça. Il arrive que l’Amour et le Sexe prennent le pas sur l’Honneur et le Devoir.

— Surveille tes paroles, vieillard, où je fais incinérer ta momie ! »

Le défunt n’en fit pas cas. « La modification qu’envisage Scogil est bien trop grossière et détectable. » Il s’interrompit et resta un moment silencieux, avant de dire : « Aïe ! Voilà que ça recommence. Attends… »

Le cœur de Nemia rata un battement, mais elle n’eut pas le temps de céder à la panique. Un raccord réduisit l’interruption à sa plus simple expression et il reprit en étant bien plus calme, plus détendu. C’était en outre sa propre voix et non une simulation. « Ce sera une de tes missions spéciales, mon enfant. Le Lion t’en révélera les détails. Ne te lance pas dans la chirurgie famique. Ce que je veux dire, c’est que tu ne dois pas procéder à cette intervention sur cet enfant. Tu me suis toujours ? Le boucher de Sublime Sagesse que Scogil a eu l’obligeance d’amener avec lui est là pour ça. Si les choses tournent mal et que les psychialistes trouvent une piste, il faudra qu’elle conduise à cet homme. Et à lui seul. Tu devras rester invisible. »

La souffrance altérait de nouveau la voix de grand-père. Puis, brusquement, il sauta ce qu’il voulait ajouter pour débiter ce qu’il considérait le plus important. « Hé, grande fille, il y sur Neuhadra de l’eau en abondance. Tu n’auras pas à te dissimuler pour te doucher. »

Puis ce fut terminé.

« Grand-père ! »

Et même ce dernier fragment de son être qu’était la capsule se désagrégeait et tombait en poussière.

Un trop grand nombre de chocs successifs ! La mort de grand-père. Une menace de mariage. Une vie totalement différente de ce qu’elle avait prévu, loin du Bastion. Elle se donna une tape sur la tempe puis se dirigea vers le lit. Elle se disait qu’elle ne pourrait pas trouver le sommeil, lorsqu’elle s’endormit toute habillée et encore chaussée. Des rêves diluèrent son chagrin. Une aventure sidérante et hilarante qui se déroulait loin du Bastion. Et quand sa montre sonna sa première veille elle se leva en ayant le cœur léger, récita ses trente-deux théorèmes en position de prière et prit son petit déjeuner. Faire son devoir était pour tout acolyte smythosien la base d’une existence digne de ce nom. Elle décida de se joindre aux chœurs du matin, juste avant de se mettre au travail.

Elle organisa les tâches que son grand-père lui avait transmises et réordonna les clés nodales de son fam pour donner une priorité à ses nouvelles obligations, puis elle famféra les dossiers qui lui avaient été légués avant de procéder au tri des biens matériels dont elle avait hérité.

Grand-père avait conservé les lettres d’amour de grand-mère. Elle avait connu une fin tragique, en des circonstances qui manquaient de clarté. Grand-père n’avait jamais voulu en parler. Ces lettres avaient été écrites sur du papier authentique fabriqué par le manufacturier de grand-père, avec une encre primitive qui s’effaçait déjà.

La boîte la plus grosse contenait sa collection de modèles d’antiquités. Il avait constamment modifié son intérieur. Il n’hésitait pas à jeter telle pièce dans le dispozoir pour dégager de la place à un chef-d’œuvre qu’il venait de faire manufacturer. Tout était disparate et rien ne le satisfaisait. Elle gardait de sa prime enfance des souvenirs où elle se frayait un chemin au cœur de son bric-à-brac… un terme qu’elle n’avait à aucun moment osé employer autrement qu’en pensée. Nul objet de la collection de son grand-père n’avait un lien esthétique avec un autre, mais tous avaient une importance historique. L’histoire était tout, pour ce vieillard. Il adorait trébucher sur ses vestiges pendant qu’il musardait, l’œil de son esprit perdu dans des visions d’une ère passée ou à venir.

Et il y avait sa précieuse collection d’Œufs du Toron de Coron : huit, ou neuf en comptant celui qu’il lui avait donné et qui trônait sur un trépied en bois dans l’atrium. Il n’y avait aucune édition originale, bien trop difficile à stocker sous forme de modèle. Il sortait à peine de l’adolescence lorsqu’il s’était pour la première fois intéressé à ces Œufs. Quand la Surveillance l’avait chargé d’étudier les mathématiques audacieuses du projet du Toron de Coron.

Il avait alors eu une idée folle, la conviction que les Œufs « originaux » contenaient dans leur banque de données les coordonnées de la Cache perdue des Martyrs. Ceux de la deuxième édition et d’après n’avaient pas tenu leurs promesses. Grand-père ne s’était pas laissé décourager et il avait toujours des fureteurs qui parcouraient la Galaxie à la recherche d’une copie d’une « édition originale », des Œufs qui avaient dû être victimes de l’entropie ou, s’il en existait encore, se faire enfouir sous les décombres d’une des guerres de l’interrègne. Des fureteurs dont, en fonction du testament de son grand-père, Nemia héritait avec le reste. Elle avait naturellement entendu raconter un milliard d’histoires de « trésors perdus » et elle ne faisait pas grand cas de celle-ci. Des hommes parcouraient la Galaxie depuis soixante-quatorze millénaires en laissant derrière eux d’innombrables mystères. Les Protocoles d’Êta Cuminga. Les Mines perdues des Mirades. Elle soupira. Pourquoi grand-père avait-il cru qu’elle accepterait toute la succession ? Cela la contraindrait à interrompre la mission de tous ses fureteurs, ce qui ne serait pas une mince affaire du Bastion. Elle décida d’attendre de se trouver sur Neuhadra.

Immensément fier de sa collection, il veillait à garder tous ses Œufs en parfait état et il lui arrivait de s’en servir pour mystifier ou éblouir des invités à ses réceptions. Nemia l’avait considéré comme étant l’astrologue le plus prolixe de la Galaxie. Son tour préféré consistait à jeter son dévolu sur un jeune Smythosien frais émoulu de son séminaire d’études hérétiques de psychohistoire interdite, bourré de certitudes mathématiques quant à l’impénétrabilité de la destinée personnelle, et de l’inciter à consulter un Œuf. La pièce s’assombrissait, le panorama stellaire se déployait et, par des mots très simples, grand-père faisait apparaître des cartes stellaires de plus en plus complexes qui révélaient un passé débouchant sur son avenir personnel. Tous souriaient de la sagacité de cette interprétation – et de sa superficialité – jusqu’au lendemain, quand les prédictions commençaient à se réaliser. Grand-père avait tenté de lui enseigner les tours et les façons des diseurs de bonne aventure, mais elle n’avait jamais maîtrisé cet art au même niveau que lui.

Sa première veille correspondait à la onzième, et elle la passa dans l’antre du Lion, à s’informer des détails de sa mission. Grand-père avait été très explicite, sur son lit de mort. Il devint évident qu’impliquer Scogil dans le projet du Toron de Coron était le fruit d’un pari hasardeux. Lorsqu’elle se plaignit des chances de réussite ridicules, le Lion lui rappela sèchement qu’il devait surveiller toutes les antilopes de la harde. Si les Smythosiens s’intéressaient à une centaine d’événements n’ayant que un pour cent de probabilités d’aboutir, c’était parce qu’il était presque certain que l’un d’eux serait mené à terme.

Ils jonglaient avec les événements improbables car ils entraient dans une catégorie que les psychialistes avaient de sérieuses difficultés à analyser. Alors que modéliser des situations ayant de très fortes probabilités de se produire dépassait les capacités de calcul de la Surveillance. Contrairement aux psychialistes, ils n’avaient ni vingt-sept siècles d’expérience de la psychohistoire ni les incommensurables ressources du second Empire.

Restait ce qu’elle ferait pour modifier le fam du protégé de Scogil. C’était un autre pari risqué. Ils lui confiaient un atout qu’elle pourrait abattre ou non, en fonction des circonstances. Elle n’aurait pas à procéder aux altérations réclamées par Scogil, seulement à celles qui correspondaient aux besoins spécifiés par la Surveillance.

Ce qui la mettait en colère. « Je ne peux pas trafiquer un fam à la demande ! Ce n’est pas comme ça que ça se passe ! J’interviendrai sous d’énormes contraintes. Je ne saurai même pas lesquelles avant d’avoir effectué les tests !

— Il n’a que douze ans, rappela le Lion.

— C’est un adulte. Son fam s’est étoffé.

— Un échec sera sans grandes conséquences. Scogil devra simplement se passer de cet atout. »

Elle réussit à se détendre et ils abordèrent le sujet des pivots événementiels, et plus particulièrement en quoi celui-ci était lié à certaines subtilités conceptuelles d’un fam. Le Lion passa des grands principes psychohistoriques à des spécificités, entre autres choses à la façon dont le paramétrage des états quantiques pouvait, en l’occurrence, altérer les équations prophétiques. Il parlait souvent de choses dépassant les compétences de Nemia, pour se ressaisir sitôt après et revenir au thème de sa mission. Elle avait l’impression d’avoir plusieurs interlocuteurs, même si le personnage du Lion était sans faille. Sa banque de données englobait trop de choses. Elle le suspectait d’être le coordinateur artificiel d’un comité parfaitement soudé.

Son unique certitude, c’était qu’elle était plongée dans cette affaire jusqu’aux yeux. Lors du cycle suivant, elle alla fêter son départ avec ses amis dans les jardins du Présidium.

Et, dix veilles plus tard, elle se retrouvait à bord d’un cargo commandé par un de ces mystérieux individus qui s’affublaient du titre de Maîtres stellaires et privée de tout accès à la moindre image de l’extérieur. Elle passait son temps avec son mnémoniseur, pour terminer ses études préliminaires et échafauder des projets. Une moitié de son esprit œuvrait sérieusement pendant que l’autre concoctait diverses solutions pour lui permettre d’échapper au piège du mariage que lui avait tendu grand-père. Épouser un béguin d’adolescente au nom de leur Juste Cause ! C’était ridicule ! Et que ses oreilles aient ou non un galbe harmonieux n’y changeait rien.

Ils lui avaient fourni des informations sur le Toron de Coron, des éléments dissimulés à Scogil afin que ce soit elle qui lui révèle des données capitales pour sa prochaine mission. Une mesure totalement inutile, estima-t-elle avec ironie. Ce n’était qu’une manigance de plus pour la rapprocher de Scogil !

Scogil ! C’était si choquant qu’elle était tentée d’utiliser un Œuf pour établir son propre thème astral. Mais une volonté d’airain lui permit de reléguer cette pulsion parmi les choses irrationnelles. Être affligé par des superstitions était le prix que devait payer celui qui utilisait un bioware de pacotille ayant évolué stupidement dans un vieil océan ! Jusqu’au jour où l’homme apprenait comment le remplacer par des quantroniques n’étant pas soumis aux lois de la robotique imposées par les contraintes environnementales.

Mais… il fallait revenir au véritable problème, c’est-à-dire augmenter les capacités du fam du protégé de Scogil. Elle devrait concevoir un module n’ayant qu’un seul usage : accroître l’intuition mathématique de cet enfant. De la routine, ou presque. Qu’il soit encore assez jeune pour avoir des structures flexibles simplifierait sa tâche. Une modification de fam devant être utilisé par un cerveau d’adulte réclamait une approche différente (et très délicate) rappelant beaucoup plus la conception d’un logiciel expert activé par des déclencheurs organiques primitifs. Mais ce ne serait pas facile pour autant.

Sa deuxième tâche, pas toujours réalisable lorsqu’on œuvrait sur des appareils fabriqués à Lointaine, consistait à insérer un facteur de dédoublement de personnalité indétectable qui pousserait l’enfant à se conduire en traître à un instant crucial de son existence. En raison des principes de sécurité en vigueur à Lointaine, elle ne tablait pas sur une éventuelle faille dans la conception. Mais compte tenu des défauts électroniques propres à ce modèle non homologué, elle pensait pouvoir contourner cette difficulté… Les ports inutilisés qui avaient découragé toute une équipe ne représentaient pas pour elle le plus grand des défis et ouvraient des voies d’attaque inattendues. Les Façonneurs helmariens fabriquaient couramment des quantroniques qui n’étaient pour bien des ingénieurs que des rêves théoriques ; les fonderies de Neuhadra produisaient tout ce dont elle aurait besoin. Procéder à la connexion serait délicat, mais elle s’en savait capable, alors que contourner les protections…

La cabine du vaisseau n’était pas assez vaste pour elle et son mnémoniseur. Elle essaya de travailler avec les talons calés sur son mnémo, puis avec les orteils qui se dressaient de tous côtés et pour finir avec cette foutue machine sanglée au plafond, mais rien n’était pratique. Elle maudit l’Espace pour son apesanteur. Aucune solution adéquate ne se présenta jusqu’au moment où elle trouva un moyen de soutirer leurs coordonnées stellaires au Second Vigile. Elle ne put malheureusement pas les obtenir, car il ne les connaissait pas – les officiers utilisaient des clés-partielles individuelles pour naviguer – mais elle découvrit que la cabine de cet homme était bien plus spacieuse que la sienne.

Elle décida de le convaincre de procéder à un échange, une opération qu’elle entama en s’intéressant aux holos de sa famille et en l’incitant à raconter des histoires qu’il ne désirait pas garder pour lui… ce que l’absence de tout auditoire avait rendu impossible. Elle alla jusqu’à tapoter ses cheveux en brosse et faire glisser l’extrémité de son index le long de l’arête de son nez. Mais, toujours malheureusement, sa brillante stratégie se solda elle aussi par un échec. Au final, elle dut laisser son mnémoniseur dans la coursive pendant que le Second Vigile restait dans sa cabine et la serrait dans ses bras en lui murmurant des poèmes à l’oreille, lorsqu’il ne mordillait pas son lobe.

Je suis nulle en prédictions, reconnut-elle à contrecœur. Un Second Vigile n’occupait pas une place bien définie dans les équations psychohistoriques qu’elle connaissait… Ah, si elle avait eu affaire à dix mille hommes comme lui, tous en même temps, c’eût été plus facile !

Elle dut donc attendre d’arriver à Neuhadra pour reprendre son étude de modification de la personnalité. Ce fut dans son bureau que Beucalin la mit au courant des détails, pendant qu’elle s’intéressait au paysage révélé par les fenêtres les plus hautes de l’institut… des champs verts et des forêts qui couvraient les collines aussi loin que portait le regard dans les brumes matinales. Plus près, elle voyait des noyers blancs, des chênes d’altitude et des ultramontains de Zeta Tigones. Il y avait aussi un vent qui chassait les nuages ! Elle n’était pas venue ici depuis sa plus tendre enfance. Elle dut demander fréquemment à Beucalin de lui répéter ses propos.

« Il vous reste beaucoup de choses à mettre au point avant d’aborder Scogil. Attendez mes instructions, pour essayer de le joindre. Je dois encore le rendre plus docile en lui annonçant que je ne peux rien pour lui. Laissez-le mijoter quelques veilles puis surgissez pour le tirer d’affaire. Feignez l’innocence. Un ou deux sous-entendus, peut-être ? Ne lui proposez rien. Permettez-lui de vous arracher – très lentement – des précisions sur tout ce que vous pouvez faire pour lui. »

Elle mit l’attente à profit pour approfondir ses idées sur le progiciel de dédoublement de personnalité destiné à Eron Osa, la partie de sa mission qui restait à régler. Déterminer les paramètres définitifs était impossible tant qu’elle n’aurait pas rencontré cet enfant. Elle exploiterait des caractéristiques préexistantes – autrement, c’eût été sans espoir – pour ajuster ceci, atténuer ou accentuer cela, réorienter diverses tendances. Ce qui réclamerait un sens de l’observation très développé. Et tous les changements devraient être compatibles avec les spécificités de son hardware et de son bioware. Elle mettrait à profit les faiblesses de ce fam.

Alors qu’aucun d’eux n’était absolument semblable aux autres. Les constructeurs de Lointaine mettaient l’accent sur les protocoles de sécurité. Cloun l’Obstiné avait conquis une bonne partie de la Galaxie à l’aide d’un modificateur de mentalité conçu par des Façonneurs sur la base de la sonde syntonisée qui, sous sa forme moderne, permettait les échanges d’informations entre fam et cerveau. L’arme de Cloun avait été dévastatrice. Les survivants en avaient été traumatisés. Protéger l’intégrité des personnes était devenu depuis une sorte d’obsession. Les premiers fams de Lointaine n’avaient servi qu’à détecter et contrer les attaques de sondes syntonisées en surveillant les boucles de rétroaction émotionnelles – tant neurales que chimiques – dans le cortex, l’hypothalamus, le locus cœruleus, la glande pituitaire, l’amygdale, etc.

Ces modèles originaux avaient toutefois leurs limites. Il suffisait par exemple de retirer le fam – par ruse, force ou négligence – pour que le cerveau organique redevienne vulnérable. Le fam absent pouvait être remplacé, mais les changements apportés entretemps subsistaient. Les appareils de conception plus récente, comme celui du jeune Eron Osa, gardaient en mémoire un ensemble de paramètres et relevaient la signature de leur porteur au moindre signe de découplage pour contrer toute altération subie pendant leur séparation. Lointaine, que Cloun l’Obstiné avait privée de son hégémonie, était devenue – et était restée – la spécialiste des systèmes défensifs communément appelés « pare-intrus ».

Les aides à la résolution des problèmes, les stockeurs de données, les moteurs de recherche, les assistants grapheurs, les agents de surveillance et les régulateurs internes d’émotions… tout cela avait fait son apparition par la suite, mais dans les fams de Lointaine ces ajouts avaient été soumis à des règles de sécurité draconiennes. Ce qui pouvait être en certaines circonstances une faiblesse. Quand Beucalin la joignit pour lui annoncer que Scogil avait été conditionné et lui donner son feu vert, elle avait échafaudé plus d’une seizaine de méthodes ayant de fortes probabilités de réussite. Elle devrait naturellement tester le fam d’Eron Osa avant d’établir les protocoles de l’intervention chirurgicale. Ce fam était un compagnon inséparable de cet enfant depuis près d’une décennie, et il avait déjà perdu la plupart de ses caractéristiques d’origine.

Psychohistoire en péril, I
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